En quoi la pensée d’Hanna Arendt peut interroger les libertaires ? 1
En quoi la pensée d’Hanna Arendt peut interroger les libertaires ? 1
Le premier enseignement d’ Hanna Arendt réside dans la réponse à l’Un et au Contr’ Un.
Sa conception de la dualité intérieure faite de soi et d’altérité préfigure sa conception de la communauté et de la société comme pluralité humaine.
L’individu n’est pas coupé des autres. Il est les autres et les autres sont en lui.
Cela rejoint pleinement la pensée libertaire de Bakounine sur le concept de Liberté.
Le sujet pensant est étroitement lié avec la pluralité humaine. De sorte que le dialogue intérieur est Intégration, anticipation et expression du dialogue avec les autres.
Le « je pense donc je suis » devient le « je pense donc nous sommes et nous sommes donc en moi nous pensons ».
La confirmation dans mon identité dépend entièrement des autres. Je ne suis que par et dans les Autres ce qui n’enlève rien à ma propre individualité. Mon unité personnelle n’est pas le fruit de mon activité pensante dans le dialogue de moi avec moi-même.
« Toute pensée à proprement parlée s’élabore dans la solitude moi avec moi-même mais ce dialogue de deux en un ne perd pas le contact avec le monde de mes semblables. »
La dualité intérieure constitue un enseignement riche pour le conflit récurent entre individu et collectif qui parcourt le mouvement libertaire. Le Nous n’est pas absolument réducteur et destructeur du Je. Le Nous peut et doit être expression et projection des Je dans la Communauté ou Association. Au même titre le « Je » doit intégrer et combiner les Nous que nous sommes.
Le concept de L’Un s’élève contre la condition humaine de pluralité que ce soit au niveau de l’Un comme Pouvoir ou de l’Un comme Individualité paroxystique.
Il ne conjugue plus la pluralité. Le Plusieurs en Un est l’expression ouverte et abouti du deux en Un préexistant dans l’être pensant.
L’Etre en commun ou l’Etre- avec- les – Autres devient un trait fondamental de l’Etre et exister humain.
« Même l’expérience du monde donnée matériellement et sensiblement dépend de mon être- en- contact avec les autres hommes, de notre sens commun qui règle et contrôle tous les autres sens et sans lequel chacun de nous serait enfermé dans la propre particularité de ses données sensibles, en elles-mêmes, incertaines et trompeuses. C’est seulement parce que nous possédons un sens commun…parce que ce n’est pas un homme mais les hommes au pluriel qui habitent la terre, que nous pouvons nous fier à notre expérience sensible immédiate. »
Ma capacité de faire l’expérience d’un monde, de penser ’une unité de cohérence d’un univers d’expériences commun à tous les hommes réside donc tout entière dans le rapport aux autres.
« Les hommes sont superflus dès qu’ils sont privés de monde, le monde est superflu dès qu’il est privé des hommes. »
Il faut avoir à l’esprit que « la « nature » humaine n’a de sens qu’au titre de ses conditions existentiales et de son existence historique en non comme essence éternelle »
Il n’y a pas plus, pourrait- on dire, d’essence de l’homme hors de ses conditions historiques d’existence. Il convient donc de substituer au concept de « nature humaine » celui de « condition humaine ».
Le monde est lui-même le monde d’une époque, monde historique, ce qui renvoie à la notion d’historicité de la condition d’appartenance-au-monde.
De là une conséquence directe au niveau de l’analyse libertaire du pouvoir.
« Sans la pluralité des hommes, il n’y aurait pas de politique ; et cette pluralité n’est
pas une qualité de sa « nature », mais la quintessence même de sa condition
terrestre.»
Cela ne qualifie pas l’homme abstrait mais l’homme, être-au-monde, l’Être existant.
« Il n’y a sans doute rien à dire sur la « nature » de l’homme ; en revanche il y a tout
à apprendre de l’examen des conditions d’existence des hommes, donc de leurs
activités. »
Conséquemment, la seule « essence » de l’humain, loin d’être une supposée nature
immuable, réside dans la liberté au sens politique qu’illustre la polis. La liberté est un
trait existential de l’exister humain. Donc, l’humanité des hommes ne s’accomplit,
pleinement que sous condition de liberté politique.
L’appartenance au monde, la pluralité de plusieurs en un, la Condition humaine,
autant de repères pour penser un étant politique de cet Etre-en-commun, de cet Etre
avec- les- autres.